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Initiative du projet du réseau français avec le Forum Femmes Méditerranée « Marche des Femmes, avec leur corps et leur voix. » Atelier du Café Atelier eciture 27 mai 14h Marathon virtuel Réseau français et FFM

 

 

Le Forum Femmes Méditerranée s’est très tôt préoccupé d’offrir des espaces d’expression, d’échange et d’enrichissement pour des talents en herbe, plus précisément à des femmes qui par leurs écrits neufs, frais, authentiques et indéniablement émouvants, nous livrent précieusement, délicatement des destins de femmes, de sociétés et de cultures différentes et porteuses de grandes et magnifiques espérances. Chaque année, grâce à la bonne volonté et à la qualité de son jury, le Forum Femmes Méditerranée organise un concours de nouvelles sur des thèmes variés touchant à la vie des femmes établies sur les différents rivages de la grande bleue, à leurs attentes et aux pas qu’elles accomplissent chaque jour pour se rapprocher les unes des autres, pour construire ensemble une Méditerranée, humaine, paisible et plurielle. Un des axes forts du Forum Femmes Méditerranée est constitué par le croisement et le dialogue entre les cultures sous le signe d'une conception vivante de la culture toujours en train de se faire dans le rapport à soi, à sa propre histoire et dans la rencontre avec l'autre.

 

C'est pourquoi le forum a eu à cœur de coupler les écrits des lauréates avec des débats et des interventions autour de sujets qui favorisent les échanges d'idées et de témoignages.

Lors de cette séance du 27 mai, nous avons pu réfléchir sur « écriture des femmes et engagement »

C'est ce thème  qui est resté le fil conducteur de la séance, partagée en deux parties :

-          l'analyse de la visibilité de la femme dans la société avec la question centrale de l’écriture féminine ou des conditions d’écriture liées à leur place dans la société. Des textes de conférencières ont été lus entre coupées de paroles de femmes écrivaines

-          Une seconde partie, avec la parole donnée aux femmes réunies dans plusieurs villes de Méditerranée à l’initiative des partenaires du projet

 

Malgré un problème de réseau avec l’Algérie, et des difficultés avec les personnes suivant la rencontre sur leur Smartphone, les participant.es ont pu s’exprimer à la fois individuellement mais aussi ensemble sur leurs points de vue.

Cette rencontres, moment culminant d'échanges, de mouvement, de circulation de l'écrit et de la parole, n'avait pas d'autre ambition que de mettre en contact à l’occasion du marathon virtuel de la FAL des femmes de tout horizon autour des thèmes  des droits des femmes et du dialogue interculturel.

 

 

TEXTES – ECRITURES ET ENGAGEMENT DES FEMMES

 

Myriam BEN Écrivaine – artiste peintre : « J’ai participé au concours de Nouvelles »

 

« Lorsque le Forum des Femmes de la Méditerranée m’a demandé de participer en 1994 au jury de la nouvelle écrite par des femmes de tous les pays, autour de la grande « Mare Nostrum », j’ai aussitôt pensé refuser.

En effet, après les grands actes historiques qui ont fait l’admiration de l’Algérie dans le monde entier, depuis le déclenchement de la guerre d’indépendance en Novembre 1954 et la force de son mouvement marqué du signe indélébile (de la démocratie pour le peuple, cette sollicitation du Forum m’est parvenue à une période où l’éclatement de l’Algérie qui tout à coups baignait dans le sang (du meilleur de ses fils assassinés, oui, cette sollicitation m’est apparue comme dérisoire et presque indécente).

Puis, j’ai eu aussitôt le très fort sentiment que la participation des femmes de tous les pays de la Méditerranée serait de nouveau comparable à ces vastes mouvements de fraternité, de solidarité et d’amour généreux qui entourent les peuples lorsque le malheur obscurantiste frappe à leur porte, comme il cogne aujourd’hui avec rage au cœur, l’Algérie démocratique.

Je n’ai pas regretté d’avoir participé au premier jury qui a mis l’Algérie à l’honneur, en attribuant le premier prix à la bouleversante nouvelle que notre sœur courageuse Soumia Amar Khodja avait envoyé d’Algérie où elle réside, en proie à la tourmente.

J’ai apprécié la tenue de ce jury où se sont affrontés avec conviction et passion les défenseurs des textes qu’ils proposaient au prix.

Au cours de la seconde année, le prix de 1995, avec le nombre et la belle qualité des nouvelles parvenues écrites en langue arabe, et primées, j’ai acquis la certitude que la création de ce prix s’ouvrait sur des auspices prometteurs. Les lauréates donnaient par leur participation la preuve que l’on peut assassiner les hommes, les femmes et les enfants, mais leur sang remplit l’eau du puits, où les peuples trempent leurs lèvres et leurs plumes »

 

Esther FOUCHIER : « Écriture des femmes et engagement »

 

« La création des femmes existe aujourd’hui dans tous les domaines artistiques et littéraires du moins dans les régions du monde où la présence d’un état démocratique protège le droit d’expression dans son ensemble et plus spécifiquement celui des femmes que des intégrismes et des idéologies rétrogrades ont vite la tentation de confiner au rôle de génitrice.

« L’écriture est un jeu de construction. On peut construire des refuges, on peut construire des histoires, on peut construire des migrations. » C’est dans cette dernière construction, proposée par l’écrivain algérien Tahar DJAOUT, celle des échanges et des arrachements que se situe ses initiatives littéraires : ateliers d’écriture, concours de nouvelles, rencontres. Comme l’écrit Claude BER : “ C’est autour de cette mer matrice, égrenant ses cultures multiples aux racines communes qu’ouvre le Forum Femmes Méditerranée avec la volonté de créer liens et passerelles, circulations et échanges de naviguer en somme d’un rivage à l’autre avec dans les ballots, ce bien le plus précieux qui s’échange sans se perdre : les mots.

Les initiatives littéraires du Forum femmes Méditerranée ont permis de faire avec la beauté des mots et leur amertume un espace social où les femmes puissent acquérir leur place et s’affirmer en tant que citoyenne. Un espace de dialogue au-delà des divergences politiques, et religieuses. Malgré les conflits et les guerres. Comme l’année où des lauréates libanaises, palestiniennes et israéliennes avaient été choisies pour la qualité de leur nouvelle. Elles se sont retrouvées ensemble avec les lauréates des autres pays dans un centre culturel d’accueil. Les repas, les soirées littéraires se déroulaient dans ce même lieu. Mais elles refusaient de se parler. A table, l’une d’entre elles mettaient même une serviette comme barrière de séparation. Puis, au bout de quelques jours, la parole a circulé, les anecdotes, et des similitudes sont apparues dans leur mode de vie, les discriminations subies, leurs espérances. A la fin du séjour, elles sont devenues amies. J’ai vécu ce dialogue comme la preuve que les femmes méditerranéennes partageaient une communauté de destins.

 

D’ailleurs, une autre année, s’est produit un événement bouleversant. Une lauréate marocaine avait écrit un texte à partir du thème « le legs ». Elle alertait les jeunes générations sur la seule transmission que leur pays permettait aux femmes en raison de la polygamie : celle de la soumission et de la négation des femmes. A l’époque, un homme pouvait se remarier, inviter sa famille, ses connaissances sans en parler à sa femme et disparaissait pour fonder un nouveau foyer la laissant vieille et seule. En présentant son histoire lors d’une rencontre avec des femmes du quartier de la Busserine à

Marseille, nous assistâmes à un moment fort de partage de vie et de souffrances. L’une d’entre elles se leva et en pleurant avoua, pour la première fois, que c’était aussi l’histoire de sa vie. Heureusement la résistance des femmes a fait changer la loi.

 

Ainsi à travers le Concours de nouvelles destiné seulement aux femmes, nous leur avons offert des espaces d’expression, de circulation des idées, d’échanges et d’enrichissement et elles nous ont livrés précieusement, délicatement des destins de femmes, de sociétés et de cultures différentes. Et prouver qu’écrire, c’est défier, transgresser, choquer, faire vibrer toute une langue, et tout simplement c’est être soi-même, dans un instant de complicité avec le mot, la syllabe, la ponctuation, avec l’image poétique, se noyer dans le sens sans vraiment donner aux mots leurs vrais sens, laisser le texte ouvert à toutes les interprétations possibles.

 

Notre concours a vu le jour au tout début de la décennie noire en Algérie et les plus beaux textes nous sont d’ailleurs parvenus de ce pays. L’écriture active la mémoire mais que peut l’écriture face à la dévastation 

« J’écris, j’écris pour décrire l’horreur, pour ne jamais oublier, pour que les jeunes générations se souviennent et ne soient plus jamais tentées par l’aventure criminelle du fondamentalisme » …

 

Quand la créativité des femmes s’exprime à travers la magie des mots elle inquiète et dérange. Le tabou est là. Il force le retranchement dans un univers fait d’ombres et de silences mutilants. En sortir c’est prendre le risque de se livrer aux griefs d’une société qui a pris l’habitude de contenir la parole qui porte les marques du féminin. Et tout geste de femme qui écrit est tout entier dans la transgression car elle entre sur le territoire interdit de la Loi. Les écrivaines de langue arabes seraient assez nombreuses à adopter un nom d’homme pour échapper à la catégorisation sexuelle et devenir écrivain. Nous savons que dire et écrire s’est exorciser la violence faite à nos corps et à nos âmes. C’est rompre.

Dans le premier numéro d’Etoiles d’Encre, Maïssa BEY, écrivaine algérienne exprimait ainsi cette irruption des femmes dans l’écriture : « Trop longtemps porteuses de la mémoire et de la parole des autres, les femmes osent enfin se dire transgressant ainsi l’ordre établi qui voudrait que leurs voix ne soient que murmure dans le silence des maisons fermées ».

Vénus Khoury-Ghata, écrivaine libanaise affirme également que l’écriture a sorti les femmes qui vivent autour de la Méditerranée de leur mutisme. « Elles devaient rattraper des siècles de soumission au cours desquels l’homme supervisait leurs propos et leur dictait leur manière de penser. Ces femmes ont ouvert la langue à des mots qui disent leur corps, leurs frustrations et leurs manques ». Est-ce à dire que l’écriture féminine se particularise par une spécificité, une sensibilité, une thématique ?

Autrement dit y a-t-il une façon propre aux femmes de raconter et de se raconter ?

 

Aujourd’hui, il existe au Maghreb une nouvelle génération de femmes qui investissent l’espace littéraire. Le monde arabe traverse actuellement une crise profonde remuée de soubresauts terribles. Dans ce contexte les femmes sont vulnérables, elles subissent la répression et les interdits. Ghania Hammadou, écrivaine algérienne pense qu’il existe une voix féminine spécifique et nouvelle dans le monde arabe. Elle rappelle que l’affirmation de Kateb Yacine « la femme qui écrit vaut son pesant de poudre » « Les femmes du monde arabe écrivent comme on pousse un cri. Il y a une authenticité violente dans leur écriture qui ne peut être feinte, un corps à corps avec la mémoire, ce qu’elles sont, ce que la société voudrait qu’elles soient et ce qu’elles rêvent de devenir ».

Zineb Labidi, confirme « le texte est lu dans un ensemble de paramètres et signes. Écriture donc, ni féminine ni masculine ? Oui, mais si l’écriture ne peut être renvoyée au sexe, peut-on dire qu’elle n’a pas de genre ? Peut-elle être dégagée de sa dimension sociale et historique ? »

 L’écriture, si elle est solitude, exil et affrontement de la Loi, ne se fait pas dans le vide. Les textes ne sont pas pages égarées au désert. Les textes sont reçus dans une société précise, à laquelle ils se destinent, même s’ils font le détour par un autre lieu d’écriture. Ils sont renvoyés à leur monde, même s’ils se veulent transfuges. Ils ne peuvent échapper à leur solidarité historique, en tant que littérature. Ceux qui les publient comme ceux qui les lisent savent d’où viennent ces textes (lieu), qui les écrit (femme ou homme) et de quoi et quand ils parlent.

 

Yasmine Khlat, née en Égypte dans une famille libanaise francophone, s’insurge contre ce point de vue « Je ne pense pas qu’il y ait une spécificité de l’écriture féminine dans la littérature du monde arabe. Je pense que c’est réduire l’importance de la femme arabe que de la cantonner à une écriture revendicative. Lorsque j’écris, je ne suis ni homme ni femme. Un livre n’est pas un tract politique. Écrire pour une femme comme pour un homme, c’est retranscrire la vie et, au-delà, rendre compte de l’univers intérieur qui nous traverse ».

On peut parler plutôt de condition féminine dans la création des femmes.

Claude Ber poète et essayiste, choisi l’expression « création des femmes » plutôt que celle de « création féminine » car si la création des femmes est liée à la condition de ces dernières et aux caractéristiques d’une expérience particulière, elle ne renvoie pas pour autant à la définition réductrice d’une création féminine » dont l’affirmation constitue, à son sens, à la fois une assertion contestable et un danger. Il y a pour elle, dans toute création à la fois l’expression d’une extrême individualité et une aspiration à l’universel.

Nous avons aussi choisi de rêver à un autre destin pour la Méditerranée. Elle est le lien et on en fait une barrière, la mer des séparations. Ce ne serait plus l’espace de la circulation mais des figements. La méditerranée au féminin c’est transgresser les frontières, consacrer des joies, tisser des rêves, c’est accompagner les pas que les femmes de Méditerranée accomplissent chaque jour pour se rapprocher les unes des autres, pour construire, nos territoires d’appartenance et d’espérance, qui borderont enfin une méditerranée humaine, paisible, plurielle.

Écrire en tant que femme ? Sans vouloir clore ce débat, n’oublions pas le poids des archaïsmes qui, ici et là-bas, emprisonnent nos corps, notre pensée et jusqu’à notre langage. Le corps comme signe, le corps comme source, est le lieu où s’inscrivent et se ritualisent les idéologies qui régentent le monde des humains. Pris dans des réseaux de possession, le corps féminin est, par excellence, l’instrument réel et symbolique à travers lequel s’exercent toutes les coercitions : religieuses, sociales, économiques, politiques.

 

Ainsi, notre engagement s’exprime quand le corps met les voiles. »

 

Yasmine KHLAT : Je suis auteur avant d’être femme

 

« Je ne pense pas qu’il y ait une spécificité de l’écriture féminine dans la littérature du monde arabe. Je pense que c’est réduire l’importance de la femme arabe que de la cantonner à une écriture revendicative. Lorsque j’écris, e ne suis ni homme ni femme. Un livre n’est pas un tract politique. Écrire pour une femme comme pour un homme, c’est retranscrire la vie et, au-delà, rendre compte de l’univers intérieur qui nous traverse.

Il est toutefois évident que dans le monde arabe en particulier, les écrivains hommes ont une place prépondérante. C’est sans doute le signe que dans une société où la communauté passe avant l’individu, les femmes ont plus de mal à accéder au droit d’exister par elle-même donc de créer. Mais je refuse de généraliser. La situation des femmes dans le monde arabe n’est pas monolithique. Je suis née en Égypte dans une famille libanaise francophone. Ma langue maternelle qui est ma langue d’écriture est le français. Je vis à Paris depuis une dizaine d’années. Je suis donc riche de tous ces apports qui nourrissent mon écriture. Il y a en moi un flux entre mes racines arabes et mon expérience française. Il y a dans mon écriture, des rythmes, une sensualité, une lumière qui me viennent de l’autre côté de la Méditerranée. C’est cela qui me caractérise. Plus que le fait d’être une femme ».

 

Ghania HAMMADOU : j’écris comme on pousse un cri

 

« Je pense qu’il existe une voix féminine spécifique et nouvelle dans le monde arabe. Trente ans après l’affirmation de Kateb Yacine qui disait que « la femme qui écrit vaut son pesant de poudre » est toujours d’actualité. Dans une société et une littérature dominées par les hommes, l’écriture des femmes est un apport particulier pour la littérature du monde arabe.

Aujourd’hui, il existe au Maghreb une nouvelle génération de femmes qui investissent l’espace littéraire. Le monde arabe traverse actuellement une crise profonde remuée de soubresauts terribles. Dans ce contexte les femmes sont vulnérables, elles subissent la répression et les interdits. Il est donc important que des femmes écrivains expriment leur vécu, parlent de leur statut difficile, mettent en scène leurs préoccupations fondamentales. En tant que membre de cette génération d’écrivains, je me sens un peu comme la porte-parole de toutes ces souffrances silencieuses. Les femmes du monde arabe écrivent comme on pousse un cri. Il y a une authenticité violente dans leur écriture qui ne peut être feinte, un corps à corps  avec la mémoire, ce qu’elles sont, ce que la société voudrait qu’elles soient et ce qu’elles rêvent de devenir »

 

Myriama : Mots de gazelles

 

« Il a fallu dire les maux avec des mots quitte à déplaire à ceux qui se sentiront concernés par des réalités qui devraient être reléguées au rang de mauvais souvenirs mais qui sont encore trop souvent, hélas, le lot quotidien de bien des filles et des femmes. Si nos mères ont subi, elles ne se sont pas toutes tues et c’est leur rendre hommage que de faire changer les choses. Les mentalités cimentées doivent voler en éclats afin que les gazelles volent de leurs propres ailes. Douleurs, frustrations, injustices, sacrifices sont encore une réalité qui concerne des jeunes filles nées en France et censées avoir des droits fondamentaux. Fort heureusement toutes n’ont pas eu à supporter ce rythme de vie indigne, nos parents ayant, pour la plupart, compris des choses à force d’avoir perdu certaines de leurs filles ; celles pour qui la fuite ou le suicide ont été les uniques alternatives. Le dialogue aurait été le bienvenu pour toutes ces femmes exilées loin de leurs familles mais au nom des tabous, les pères n’ont pas su être à l’écoute. Si au moins la liberté nous était accordée de droit, ça épargnerait les conflits qui ne concernent quasiment pas les enfants de sexe masculin. Aînée et seule fille, mes quatre frères m’ont offert du respect et cela m’a aidée à m’affirmer en tant que personnes et à défendre mes droits, car bien qu’ayant des parents ouverts d’esprit et affectueux, le poids des traditions traîne dans notre famille tel un boulet dont on essaie de se délester depuis des générations. Tout au plus s’est-il un peu usé, ce qui le rend moins lourd, mais bienheureuses seront les générations futures lorsque le gros boulet d’antan ne sera plus qu’un grain de poussière sur un vieil album de photos. »

 

Michel JUAN : Visibilité et invisibilité des femmes

 

« Murcia est l’héroïne de ‘Tres de mayo’, un roman qui se déroule pendant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939, d’abord dans l’île de Mallorca, puis à Barcelone. Existante, visible dans sa condition de pauvre paysanne mallorquine, elle déroge à la loi, se dérobe déjà, invisible, dans son engagement au parti communiste espagnol depuis 1933. Invisible, mais claire avec elle-même, entière, accomplie, dans sa démarche de républicaine. Le 18 juillet 1936, sa vie bascule. Son mari est fusillé, et pour sauver son fils des assassinats franquistes, elle va vivre désormais dans l’illusion. Elle étouffe ses convictions les plus fortes, et se réfugie avec ses enfants chez sa sœur, une aristocrate, qui lui demande de jouer le ‘jeu’, de se renier, si elle tient à sauver son fils.

Elle n’est plus que visible dans le mensonge.

La honte et le mépris d’elle-même, le déchirement, font désormais partie de son moi enfoui.

Elle n’apparaît plus que masquée. Dans son village, au cours d’une enquête, elle s’affiche avec un fasciste italien, renie sa vie de militante républicaine. Son ‘invisible’ est dévoré de désespérance, de remords.

« Ceux des maisons qui la voient passer, la méprisent-ils ? La maudissent-ils ? L’ont-ils condamnée à mort ?

Eux aussi ?

Il lui arrive de rêver qu’elle court, qu’on la poursuit, qu’on la rattrape.

La détresse la cogne, la meurtrit, l’empoigne. Aujourd’hui, elle ne rêve pas. Elle est prise. Elle croise les mains sur ses genoux pour avoir le moins de contact possible avec la voiture.

Elle va se lever, dire aux gens de Binissalem qu’elle n’est pas avec l’Italien. C’est clair. »

Elle s’insère cependant, jusqu’au tréfonds d’une trahison. Des innocents seront fusillés à sa place.

Cependant, elle garde au sein de son ‘invisible’, mêlé à son désarroi, un ferment de vérité incommensurable, sa vérité. Sa vérité, créatrice de sa liberté.

C’est en prison qu’elle sera libre. Etonnement ou pas.

Son invisible redeviendra le visible.

Mais encore. A Barcelone, sa visibilité d’autrefois, celle du début de la guerre, sera négociée par un chef communiste qui fera d’elle une espionne. N’est-elle pas rompue à ce genre d’exercice ?

Ce n’est que pendant la débâcle des républicains et la ‘Retirada’, en janvier 1939, qu’elle retrouvera et revivra son identité propre dans son intégrité. L’ombre et la lumière, le clair obscur, miroirs infidèles, mirages, espoir, sont les heures changeantes de la vie de Murcie.

 

Des innocents seront fusillés à sa place. »

 

Le Thème la Rue

 

« Le thème « la rue » a été choisi car c’est un espace public et que nous souhaitions découvrir la façon doit cet espace était investi par les femmes dans les pays du bassin méditerranéen.

Nous n’avons pas le temps de vous présenter les nouvelles qui ont obtenu les prix d’excellence, je voulais vous présenter de façon plus globale comment ce thème avait été mise en forme dans les différentes nouvelles primées

La rue comme lieu de perdition : prostitution, vol

La rue comme abri des exclues

La rue comme espace de jeu malgré la guerre

La ville, la rue, les femmes toutes en chantier, en quête d’une nouvelle forme, d’une identité

La rue comme un personnage en tant que tel

La rue comme un lieu interdit

La rue comme lieu de toutes les connaissances, comme l’apprentissage de la vie

La rue comme le lieu où on meurt brutalement par accident ou assassinat »

 

Behja TRAVERSAC : le corps met les voiles

 

« Je voudrais d’abord dire que nous devons l’intitulé de ce colloque à Wassyla Tamzali. J’ai particulièrement tenu à le garder car il revêt de très multiples sens : la permanence comme la « fuite » ou la « dérobade » du corps des femmes, sa présence prégnante comme ses échappées, sa confluence aux origines de la vie, ses soumissions forcées et ses révoltes, ses provocations, ses renoncements et ses exigences, ses postures dans la laideur ou la magnificence et, toujours, la vie, la vie… et l’amour. Et cet intitulé me semble illustrer de la meilleure façon le thème dont nous allons débattre. Nous voulons ainsi féconder nos insoumissions par la création, changer les ghettos du silence en territoires de langues d’ici et de là-bas.

Ensemble, nous savons que dire et écrire s’est exorciser la violence faite à nos corps et à nos âmes. C’est rompre avec l’infini de nos solitudes

Comme nous, nos amies de FFM savent aussi le poids des archaïsmes qui, ici et là-bas, emprisonnent nos corps, notre pensée et jusqu’à notre langage.

Ensemble, nous savons que le corps comme signe, que le corps comme source, est le lieu où s’inscrivent et se ritualisent les idéologies qui régentent le monde des humains.

Pris dans des réseaux de possession, le corps féminin est, par excellence, l’instrument réel et symbolique à travers lequel s’exercent toutes les coercitions : religieuses, sociales, économiques, politiques. »

 

Zineb LABIDI : Écritures féminines et engagement : comment faire autrement ?

 

« Pour toute femme l’écriture, cette solitude

Pour toute femme l’écriture, ce nécessaire exil

Pour toute femme, une aventure de soi et qui concerne tant d’autres.

Dans notre imaginaire, l’écriture est lecture. « Lis », pour que le texte soit, dont aucune lettre ne peut être changée sans que tout soit changé.

Dans notre imaginaire, le poète rêve sur la trace vertige d’une présence passée, son vertige et désormais son seul témoignage, mue d’un serpent depuis longtemps disparu.

Écriture, ce lieu de la Loi.

Et tout geste de femme qui écrit est tout entier dans la transgression car elle entre sur le territoire interdit de la Loi. Loi divine et loi masculine qu’elle subit en premier. Le Code la famille en est l’exemple, relancé par le Code tribal élaboré dernièrement à Khenchela et approuvé par d’autres régions.

 

* * *

 

Alors quand on reprend la double interrogation d’une écriture féminine et de l’engagement de cette écriture, de l’engagement dans l’écriture même, on ne s’offre pas le luxe d’une vaine question. On est au cœur de la question, dans un monde lui-même pris de vertige et qui ne sait plus comment tourner.

Bien sûr, un écrivain écrit ; c’est le geste qui le fait être écrivain. Un écrivain, femme et homme, est écrivain. Et tout le reste est discours surfétatoire. On comprend le refus des écrivains d’être classés, étiquetés comme appartenant à un groupe ou renvoyés à une catégorie.

Pourtant, dans le monde éditorial et celui de la réception, la nationalité, le sexe et le positionnement géographique sont toujours pris en compte pour notre monde. Et si les écrivains jouent de ces catégories et les brouillent, elles leur permettent d’être édités. Elissa Rhais, au début du siècle dernier, campait la figure de la femme échappée du harem et qui se met à l’écriture, alors qu’en fait, c’était un homme écrivait. Elle faisait rêver et réactivait des phantasmes à travers l’écriture d’un homme

Les écrivaines de langue arabes seraient assez nombreuses à adopter un nom d’homme pour échapper à la catégorisation sexuelle et devenir écrivain. L’écriture, si elle est solitude, exil et affrontement de la Loi, ne se fait pas dans le vide. Les textes ne sont pas pages égarées au désert. Les textes sont reçus dans une société précise, à laquelle ils se destinent, même s’ils font le détour par un autre lieu d’écriture. Ils sont renvoyés à leur monde, même s’ils se veulent transfuges. Ils ne peuvent échapper à leur solidarité historique, en tant que littérature. Ceux qui les publient comme ceux qui les lisent savent d’où viennent ces textes (lieu), qui les écrit (femme ou homme) et de quoi et quand ils parlent.

On le sait bien, le texte est lu dans un ensemble de paramètres et signes, paratexte et contexte et même cotexte. Il entre dans une histoire de l’écriture qu’il reconduit ou bouleverse. Et même lorsque le lecteur et l’analyste veulent s’en tenir au texte seul, il est difficile d’être totalement aveugle à ce qui est sur les marges, en arrière ou en avant du texte, et qui le traverse…

Écriture donc, ni féminine ni masculine ? Oui, mais si l’écriture ne peut être renvoyée au sexe, peut-on dire qu’elle n’a pas de genre ? Peut-elle être dégagée de sa dimension sociale et historique ? Car, quand une femme écrit (publie et est lue), elle est de multiple façon dans l’œil du cyclone. Son geste n’est pas anodin.

Il est engagé, et il l’engage, dans une histoire complexe. »

 

Claude BER « Exil et diversité des langues en méditerranée »

 

« Je dis mer. La mer dit bahar. Elle dit sama ciel bahar mer. Et tangue. Entre deux bleus. Entre deux langues. Ici où la rime se nomme océan. Bahar cette mer étrangère avec son sourcil de vague tâtant la terre de son œil.

Scrutant l’entier de la terre de cet œil qui avance. Puis rétracte sa pupille. Seretire dans son coeur de mer. Et bat mer bahar bahar mer. Puis revient à grands ourlets de lèvres blanches. Se plisse. Enfle. Roule enroule à terre entre ses dents d’écume successive. Bahar elle se nomme bahar. Et moi je ne suis plus moi mais Ana sous ce ciel où la nuit tombe comme une main qui se retourne. Et ma main se retourne avec lui. Yed main sama ciel. Main double à deux mers et à deux mains.

Je te donne mer. Tu me donnes bahar. Donne-moi un mot cela seulement qui se donne sans se perdre. Et nous aurons chacun deux mots en main. Deux mains en mot. La mer comme une main et les mains aussi libres et larges que la mer. Bahar main yed mer. »

 

Un groupe de plus de 20 personnes a suivi la rencontre d’Algérie au sein de  l' Association Djazairouna des victimes du terrorisme ou Cherifa Kheddar, Présidente de l’association avait organisé un rendez-vous pour participer à la rencontre en visio